Empreinte carbone du numérique… mais pas que !

Mi janvier, l’ADEME a publié une mise à jour des données relatives à l’empreinte carbone du numérique, ainsi que les autres enjeux environnementaux. Vous trouverez ici l’infographie résumant ce travail. Il s’agit de données actualisées pour l’année 2022.

Quoi de neuf dans cette étude ?

Dans cette étude, on y découvre quelques chiffres et quelques tendances :

  • le numérique, en 2022, c’est 4,4% de l’empreinte carbone du pays.
  • En 2020, le numérique correspondait à 2,5% de l’empreinte carbone du pays (voir ici, chiffre encore visible à date de rédaction de cet article)

On a donc une explosion de la place du numérique dans l’empreinte carbone du pays. Mais, vous allez voir qu’il y a tout de même quelques points sur lequel il est nécessaire de s’attarder.

En 2020, parle-t-on vraiment d’empreinte ?

Ce qui est frappant c’est que, que ce soit pour 2020 ou 2022, les études parlent toutes deux d’empreinte carbone. Mais c’est quoi l’empreinte carbone ?

Contrairement à un bilan des émissions nationales d’un pays, l’empreinte carbone comptabilise aussi les émissions importées. Il s’agit d’émissions de gaz à effet de serre (GES) produites dans un autre pays mais pour un produit ou service consommé ici, en France.

Pour illustrer ce concept :

  • en France, en 2021, nous sommes à 6,5t d’émissions de GES par habitant
  • mais l’empreinte carbone d’un français sur la même année est de 9,8t de GES (source)

La différence : les émissions importées : consommation de biens manufacturés à l’étranger notamment, mais aussi numérique.

En 2020, le chiffre de 2,5% de l’empreinte carbone se basait donc, pour le numérique, sur un bilan d’émissions de GES sur le territoire. Erreur de calcul ou parti-pris à l’époque ? Toujours est-il que 53% de nos usages du numérique sont hébergés dans des datacenters à l’étranger. Il convient donc de mettre à jour ces chiffres pour pouvoir véritablement parler d’empreinte carbone du numérique et de comptabiliser les émissions importées. D’où cette hausse significative.

Cette différence de comptabilité carbone, seule explication ? Qu’en est-il de nos usages ?

En réalité, il s’agirait d’une simplification que de dire que cette hausse est uniquement due au passage de comptabilité d’émissions national à une notion d’empreinte. En réalité, entre 2020 et 2022, il y a également eu une hausse des usages qui s’est notamment matérialisée (car oui, tout est matériel dans le numérique) par l’ouverture de nouveaux data centers sur le territoire.

Petit aparté (qui fera l’objet d’un autre article) : en 2022, nous commencions tout juste à voir apparaître les usages des IAG (intelligences artificielles génératives : ChatGPT, Copilot, etc.).

Pour donner un ordre de grandeur, entre 2020 et 2023, l’empreinte carbone de Microsoft a augmentée de 29,1%, portée par les émissions du scope 3. Il s’agit des émissions indirectes, provenant principalement « de la construction d’un plus grand nombre de datacenters et [des émissions carbones associées] dans les matériaux de construction, ainsi que des composants matériels tels que les semi-conducteurs, les serveurs et les racks.« 

Et pour prendre un peu de recul sur ces chiffres, Microsoft vise à être « carbon negative » (toujours la même source) d’ici 2030.

Il y a que le carbone ?

Je l’ai déjà exprimé ici, Sobrietic privilégie une approche multicritères car :

  • Il n’y a pas que le carbone. Pour revenir sur l’infographie qui fait l’objet de cet article, on compte 1,7t de ressources utilisées par an et par personnes en France pour nos usages du numérique.
  • C’est en ayant une approche multicritères qu’il est possible d’éviter tout transferts d’impacts : baisser l’empreinte carbone pour augmenter de façon insoutenable la consommation d’eau et l’épuisement des ressources n’est pas une bonne stratégie d’éco-conception.

Nous le savons, en particulier, le numérique consomme :

  • des ressources minérales et métalliques en quantité importante : extraction des matières premières, raffinages… sont des étapes du cycle de vie qui vont avoir des impacts environnementaux significatifs.
  • de l’eau : encore une fois, pour le raffinage des matières premières, mais également pour la fabrication des composants (wafers notamment, mais pas que) ainsi qu’en phase d’utilisation pour rafraichir certains centres de données.

Mais alors, comment s’y retrouver ?

Comment comparer des kilogrammes de CO2e* avec des litres d’eau ou des kilogrammes de ressources métalliques utilisées ? Quel est le plus important ? Comment prioriser ?

Le PEF (Product Environmental Footprint) propose, au travers de la méthodologie EF de réaliser différentes opérations sur les valeurs absolues (ou caractérisées) d’impacts environnementaux. Grâce à ces méthodes, il est possible de ramener les impacts environnementaux à une référence connue puis de hiérarchiser ces derniers :

  • En normalisant les valeurs caractérisées(par rapport à une référence connue – en l’occurrence, pour le PEF, il s’agit de l’impact d’un européen sur une année), il est possible de dire « cet aspect environnemental correspond à X % de l’impact d’un européen moyen sur cet indicateur« . Nous obtenons alors des valeurs en pourcentages pour nos différents critères environnementaux : CO2, eau, ressources…
  • Mais se pose alors la question suivante : qu’en est-il de la « durabilité » de ma référence ? Dit autrement, est-ce pertinent de s’appuyer uniquement sur l’impact d’un européen, qu’on sait déjà pas soutenable par rapport aux objectifs climatiques (entre autres). C’est là que le PEF intervient de nouveau, en proposant des facteurs de pondérations, permettant d’ajouter des facteurs qui vont venir augmenter ou diminuer la valeur de chaque indicateur. Nous obtenons alors à la fin une unité unique, le « point » d’impact. La figure ci-dessous (et par ailleurs la p5 du document ci-dessus) explique ces mécanismes.
de la caractérisation à la pondération

Pour illustrer ce concept, nous pouvons faire l’exercice à l’échelle d’un terminal (le chiffre de 1,7t par français par an ne distinguant pas les ressources minérales des ressources fossiles ou de l’eau).

Notez qu’aucune conclusion n’est à tirer de cet exercice, l’idée étant de montrer la méthodologie et appliquer celle-ci à un terminal (soit un système d’information au plus simple).

Les données utilisées ci dessous sont issues de la Base Empreinte® et incluent les derniers travaux du référentiel NegaOctet visant à créer des inventaires de cycle de vie nécessaires à la réalisation d’ACV multicritères de produits et services numériques.

Les facteurs de normalisation et de pondération sont ceux de la dernière méthode EF, consultables sur ce document.

Valeur caractérisée (« absolue »)Valeur normalisée (% d’une personne)Valeur pondérée (point d’impact)
Changement climatique35 kg CO2 éq.0.5%0.10 pt
Epuisement de la ressource en eau164 m3 deprived ***1.4%0.12 pt
Epuisement des ressources minérales et metalliques0.0016 kg Sb éq. **2.5%0.19 pt

Nous voyons donc bien que les émissions de GES sont un sujet, mais, qu’à l’échelle de l’évaluation de ce périmètre (très simplifié), ces GES ne sont clairement pas le seul critère à prendre en compte. Par ailleurs, il ne s’agit pas des trois seuls indicateurs environnementaux : d’autres indicateurs existent (toxicités, émissions de particules…) et pèsent également dans l’impact global de ce système.

* on parle d’équivalents CO2 : il existe différents gazs à effet de serre avec des potentiels de réchauffement climatique plus ou moins importants et une durée de vie dans l’atmosphère plus ou moins longue. Afin d’avoir une seule unité de calcul, tous les gazs sont ramenés au potentiel de réchauffement et à la durée de vie du CO2.

** on ramène l’impact à l’extraction d’un kilogramme d’antimoine, de la même façon que pour le CO2

*** l’indicateur d’eau se mesure en m3 deprived, cela prend en compte l’eau consommée et la disponibilité de la ressource en eau là ou elle est consommée. Par exemple, à notre échelle l’impact ne sera pas le même en Bretagne que dans le sud de la France.

Pour conclure…

L’empreinte environnementale du numérique explose, et l’empreinte carbone en particulier. Mais il est important de noter que d’autres indicateurs sont en hausses et sont significatifs. A l’heure ou certains géants de la tech annoncent une neutralité carbone à l’horizon 2030, il est nécessaire de se questionner sur la durabilité de cet essor de nos usages du numérique.

Les chiffres présentés par l’infographie en introduction ne tiennent pas compte de l’explosion de l’utilisation des IA génératives entre 2022 et 2025. Les chiffres communiqués par les industriels (cf. Microsoft ci-dessus) montrent une hausse significative sur cette même période.

Autre aspect crucial, le rapport RSE de Microsoft cité ci dessus dit clairement que des efforts doivent être faits pour « verdir » :

  • les matériaux de construction
  • les énergies utilisées

Deux questions peuvent alors se poser :

  • Face à des enjeux notamment de rénovation énergétique de nos bâtiments (dans une démarche de sobriété énergétique), quelle part doit accaparer la construction de nouveaux datacenters dans l’utilisation de matériaux de construction à faible empreinte carbone ? Et plus généralement, quelle « part du gâteau » souhaite-t-on offrir au numérique, dans un monde aux ressources finies ?
  • Dans un contexte ou certains pays (la France particulièrement) disposent d’un mix électrique à faible intensité carbone – et par ailleurs une dette importante qu’il serait tentant d’éponger en appelant à des investissements massifs dans la construction de data centers, n’y a-t-il pas un risque de voir les géants de la tech exporter leurs datacenters (incités – ou pas, par nos décideurs) et devenir les électro-intensifs de demain dans un contexte de tension sur notre réseau électrique ? Aujourd’hui, le numérique, c’est déjà 11% de la consommation électrique nationale (toujours selon la même infographie).

Finalement, pour conclure, l’explosion des usages du numérique implique une explosion de ses impacts environnementaux, c’est un fait. Une stratégie d’éco-conception et, plus globalement, de numérique responsable, doit impérativement prendre en compte cet usage pour tendre vers un numérique soutenable et désirable.